Une relecture personnelle du Notre Père, Bernard Rodenstein

Notre Père
Pas le mien, pas le tien. Le Nôtre. Celui qui nous aime tous d'un amour égal. Celui qui nous institue dans la fraternité qui ne se choisit pas, mais qui est notre condition et la condition de notre bonheur.
Qui es aux cieux
Le ciel est dans nos cœurs, dans nos mémoires, dans nos corps. Il porte dans son immensité les traces de celles et ceux qui, avant nous, ont lutté, souffert, espéré, pour transmettre la vie, pour témoigner de la grâce de l'amour.
Que ton règne soit sanctifié
Que l'amour parfait que tu incarnes, celui qui consiste à voir dans tout être ce qui le rend digne d'être aimé et capable d'aimer, que cet amour soit l'unique richesse à laquelle nous attachons nos cœurs pour lui rendre en tout temps et en tout lieu, le culte raisonnable qu'est l'offrande de nos vies, à ton service.
Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel
Nous avons du mal, Seigneur, à te demander cela.
Des fois que tu prendrais au sérieux ce que nous disons !
Imagines une telle folie, une telle révolution ! Les règnes humains, ceux qui se fondent sur la puissance des armes, de l'argent, de la supériorité raciale, ethnique ou religieuse, tous ces règnes usant de violences, de terreur, d'oppression de tromperies, renversés, anéantis, balayés par la venue d'une autorité nouvelle, universelle, humaine, la tienne, celle du respect et de la dignité reconnue à tous.
Mais nous rêvons, Seigneur ! Est-ce, Dieu possible ?
Et pourtant, c'est bien toi qui le dis !
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour
Ce n'est pas, semble-t-il, ce que tu as toi-même demandé.
Les bonnes traductions disent : notre pain de demain. Cela change tout !
Nous ne te demandons pas le pain du boulanger que nous avons, ici au moins, en surabondance. Cela se saurait si nous avions faim. Il existe des centaines de millions d'affamés.
Nos prières ne les nourrissent pas, hélas. Il faudrait que nous entrions avec eux dans un nouveau mode de partage.
Aïe, aïe, c'est dur Seigneur !
Et le pain de demain ? Ce serait peut-être plus simple ?
Pas vraiment, mais plus efficace, sûrement.
Le pain promis pour demain, c'est l'amour fraternel. La nourriture essentielle dont tous ont le même besoin.
Et de plus, laisserais-je sans pain quotidien quelqu'un que j'aime ?
J'irais au bout du monde pour étancher sa faim et sa soif.
Mais qu'est-ce que j'attends ?
Pardonnes-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés
Ah oui, le pardon ? J'en ai rudement besoin. Merci de me l'accorder.
Ce serait intelligent que j'en fasse autant. Mais les autres, le méritent-ils vraiment ?
Et moi donc, je le mérite tant ?
Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre nous du mal
Là, Seigneur, ça fait toujours mal.
La tentation, tu sais bien ce que c'est. Tu l'as connue, toi aussi.
Y-as-tu succombé ? L'histoire est discrète. Bien sûr, nous ne te soupçonnons pas. Et quelle importance après tout ?
Ce qui est certain et c'est ce qui nous sauve, c'est que devant Pilate, devant le Sanhédrin, devant la croix, devant tes bourreaux, tu n'as pas été tenté de fuir, de démissionner.
Tu es allé au bout de ton amour pour tous les humains en osant, jusqu'à ce sacrifice, commettre le blasphème le plus inacceptable aux yeux des tiens, celui de révéler aux hommes à tout jamais un Dieu tout autre, un Dieu qui tout entier s'engage à nos côtés pour nous faire accéder à la vie, rien qu'à la vie, à la vie en plénitude.
Prendre conscience de cela nous arrache des cris de joie : oui,
Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles.
Amen